Pour la première fois dans son histoire, Le Monde a décidé de désigner la personnalité de l'année. "Sa" personnalité de l'année. L'exercice pourrait paraître hasardeux ou galvaudé. Qui distinguer ? Selon quels critères ? Au nom de quelles valeurs ? Comment se différencier de grands et prestigieux confrères étrangers, tel l'hebdomadaire américain Time, qui nous a depuis longtemps devancés sur ce chemin en élisant sa "person of the year" ?
Depuis sa création, Le Monde, marqué par l'esprit d'analyse de son fondateur, Hubert Beuve-Méry, se veut un journal de (re)construction, sinon d'espoir; il véhicule à sa manière une part du positivisme d'Auguste Comte, prend fait et cause pour les hommes de bonne volonté. C'est pourquoi, pour cette première désignation, que nous souhaitons désormais renouveler chaque année, notre choix de raison et de cœur s'est porté sur le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, plus connu sous le simple nom de Lula.
Il nous a paru que par son parcours singulier d'ancien syndicaliste, par sa réussite à la tête d'un pays aussi complexe que le Brésil, par son souci du développement économique, de la lutte contre les inégalités et de la défense de l'environnement, Lula avait bien mérité ce titre de personnalité de l'année 2009.
Ce n’est pas Lula, c’est le Brésil. Qu’un quotidien français prenne conscience que la politique mondiale ne dépend plus seulement des cinq membres du conseil de sécurité, et que l’homme politique le plus populaire du monde n’est pas Obama, mais Lula, est un changement qu’il faut saluer. En espérant qu’il contamine le reste de la presse française, mais aussi la rédaction du Monde.
Ces dernières années, à mesure que le Brésil montait en puissance ou du moins la révélait, à mesure que l’Amérique Latine en général s’affichait comme l’un des laboratoires politiques les plus intéressants du monde, en tous cas les plus progressistes, la presse française continuait, pour des raisons économiques, à diminuer le nombre de pages dédiées à l’international, à devenir de plus en plus nombriliste, et dans les meilleurs des cas, européennes. Cela frustre journalistes et lecteurs curieux de l’étranger, et c’est surtout dangereux, en cultivant une vision du monde désormais dépassée, tant sur le terrain politique qu’économique.
Les grands groupes de demain ne sont pas seulement américains, français ou allemands. Ils viennent désormais d’Inde, du Brésil et de Chine. Choisir Lula est bon signe : ce n’est pas le politique aux accents paternalistes qu’on applaudit, mais le syndicaliste qui avec le temps, se fait véritable humaniste.
Et ne boudons pas notre plaisir de voir la presse et l’élite brésilienne trépigner en découvrant que Le Monde, qu’ils tiennent en si haute estime sans même le lire, a choisi celui qu’ils méprisent comme homme de l’année.