Pendant des décennies, l’Amérique latine a été "l’arrière-cour" des États-Unis. Le rapport de forces est en train de changer avec l’émergence du Brésil et du Mexique et leurs ambitions géopolitiques. Entretien avec Luisa Parraguez Kobek enseignante et chercheuse au Tecnologico de Monterrey, Grande école mexicaine, et spécialiste de la politique étrangère des États-Unis.
Par Florencia Valdés Andino :
En décembre dernier les pays latino-américains ont fondé la Communauté des États latinos américains et des Caraïbes (Celac) en partie pour contrer l’Organisation des états américains sous l’influence de Washington. Est-ce le début d’une coopération plus étroite entre ces pays ?
Effectivement, cette organisation a été créée pour contrer le pouvoir de l’OEA, qui existe depuis 1948, et le grignoter peu à peu. Son siège est à Washington et les États-Unis ont toujours eu une grosse emprise dessus. Mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas très longtemps l’Union des nations sud-américaines a été fondée, ce sont les pays du cône sud qui s’unissent toujours dans la même démarche. Ce n’est pas le début d’une coopération plus étroite, la volonté de travailler ensemble est historique, elle remonte au XIXè siècle.
Il n’a pas tenu ses promesses et les rapports restent similaires. Lors du dernier sommet des Amériques, il s’est présenté toujours comme le leader du continent alors que les choses ont changé. Néanmoins, les différents chefs d’Etat présents ont eu la liberté d’exprimer longuement leurs doléances, du jamais vu. Barack Obama les a écoutés attentivement et il a été applaudi pour cela. Ceci étant dit, lors de ce sommet la Colombie et les États-Unis ont signé un accord commercial bilatéral. La même stratégie menée par l’Amérique depuis des années. La Colombie est aujourd’hui son principal allié dans le continent.
Il y a sans doute un status quo, il faudra attendre quelques années pour que les rapports de force changent durablement. Les cartes sont pourtant en train d’être redistribuées. Depuis 1994 le continent devient de plus en plus indépendant économiquement et l’économie est plus diversifiée. Côté politique, l’axe des pays bolivariens (Cuba, Équateur, Venezuela, Bolivie) est convaincu que l’impérialisme américain est en recul. Les autres pays ne sont pas indifférents à cette analyse.
Un autre grand enjeu c'est la lutte contre les drogues et le crime organisé. Pendant très longtemps on débattait du sujet en tant que problématique propre à un seul pays. Maintenant on commence à avoir une approche un peu plus globale et on se dit que c’est une lutte qu’il faut mener ensemble et qu’il faut arrêter de croire que les États-Unis doivent s’occuper du problème car c’est le premier consommateur de drogue au monde. Un autre débat commence à émerger : la dépénalisation de la drogue. Il y a quelques années on n'aurait même pas évoqué le sujet. Barack Obama ne parlera pas de dépénalisation mais sa politique en la matière prend un tournant. Il parle désormais de prévention plus que de répression. Avec son passé, la Colombie se présente comme le pays de référence.
Le sujet de Cuba divise toujours...
Bien sûr. Barack Obama a appelé Cuba à mener des réformes démocratiques. Ce serait le commencement du changement du rapport entre les deux pays. Mais cette année rien ne va bouger. Nous sommes en période électorale, le candidat Obama n’a aucun intérêt à faire un pas vers Cuba, la communauté cubaine de la Floride est un énorme réservoir électoral pour les démocrates. Cette élection américaine sera très importante pour les latinos. En Amérique-latine la situation évolue également, les chefs d’Etats ont manifesté leur souhait d’accueillir Cuba au prochain sommet des Amériques, le pays a été expulsé en 1962. Et le pays de Castro appartient à presque toutes les différentes organisations supra-étatiques.
Nouvel acteur, la Chine...Comme dans le reste du monde, la Chine est un redoutable concurrent. Depuis environ une décennie, les Chinois renforcent leur présence et leurs liens économiques. Même la coopération chinoise s’installe durablement dans le continent. Le Brésil et la Chine ont des échanges très importants. Il faut évidemment compter sur la Chine dans les nouveaux rapports géopolitiques. D’ailleurs, le Brésil est déjà un leader incontestable dans la communauté de par sa prospérité économique. Ce n’est pas un hasard que la Chine se rapproche autant de ce pays.
Peut-on dire qu'on va vers un fédéralisme latino-américain pour limiter définitivement le pouvoir américain ?
C'est le rêve bolivarien des pays comme le Venezuela et la Bolivie. Mais c'est très difficile de trouver un agenda commun à 34 pays très différents.